17.9.08

Moments proustiens, I

Dans mon cours d'histoire du théâtre de l'Antiquité au XVIIe. En écoutant discourir sur les Grecs et de la Vertue grecque, l'agôn, je songe aux sévères philosophes de l'époque, Aristote, Platon et compagnie. Ces compères me font dériver aux mathématiciens grecs, les Euclide, Pythagore, Archimèdes... Ces austères compères me rappellent ma propre incompétence en cette science. Cela me remémore le moment où j'ai le plus souffert de cette incompétence, la 4ème et 5ème année du secondaire, où j'étais obligée de suivre des cours de maths fortes. Par association, j'en viens à me rappeller d'un jeune homme K.... V...., qui était sans aucun doute brillant, mais qui se comportait d'une façon éminement méprisante, voir même haineuse à mon égard.
Je n'ai d'ailleurs jamais compris les prémisses de cette haine, outre nos diamétrales oppositions en rapport à certains sujets; j'étais une révoltée, théâtrale dans son discours, isolée par sa singularité. Il était un docte et froid personnage, peu loquace certes mais apprécié de ses congénères pour son intelligence tranchante et un type d'esprit ingénieux mais fort sec.
Son bon souvenir me rappella un incident qui me fut particulièrement pénible et dont les contours me sont à ce jour fort vagues. Je suis, comme d'aucun le sait, légèrement sourde. Je fais souvent répéter les gens et j'abhorre le téléphonne dû à ce léger déficit auditif.

Dans une classe de morale, qui venait de changer de nom pour la énième fois, j'avais fait une inervention qui interrompait peut-être son propre commentaire, mais qui visait à y ajouter, à y renchérir, si je me rappelle correctement.
Il me répondit quelque chose de confus; je demandai "Quoi?". Il répéta, mais j'étais toujours dans l'incompréhension: "Comment?". La troisième fois fut fort claire: "TA GUEULE, Léa!". La classe rit. La professeur, personne légèrement sotte, (que j'ai d'ailleurs croisée quelques années plus tard à une clinique d'expérimentations pharmaceutiques rémunérées), saisissant que cette insolente brimade obtenait l'approbation générale, (je me rappelle son regard sans direction aux yeux ronds, vitreux, alors qu'elle délibérait à savoir si l'action, selon la sanction qu'en faisait la classe, était réprimandable ou non) continua son cours.

L'humiliation fut terrible.

Malgré la chaîne d'idées que j'ai longuement étalée ici, la scène s'est représentée toute de suite dans ma mémoire, j'ai eu à la subir encore une fois.
Je ne dis pas "une deuxième fois", c'est un souvenir assez récurrent...
Mais cette fois-ci, il était empreint d'une force, d'une soudainneté qui m'assommèrent, commotion redoublée par le point auquel il était imprévu.

Devant cette scène mentale, surimposée à l'image du Théâtre de Dionysos projettée sur l'écran, j'ai dû refouler des larmes.
***
(Je ne sais pas si le dévoilement de ce souvenir honteux m'en soulagera.
Beaucoup d'éléments de mon passé me sont douloureux et il me semble que de les ressaser, contrairement à la logique psycho-cognitiviste, ne me les rend pas plus doux ni faciles à supporter.

Comment désammorce-t-on la tristesse de jadis?)

8 commentaires:

ambidextre a dit…

Notre vie est fiction. Nous ne souvenons pas des souvenirs de façon pure, mais de l'histoire que nous nous créons à partir de ceux-ci. Cette histoire, nous en sommes les auteurs inconscients. En prenant conscience de ce processus, on peut l'influencer, on changeant non pas l'histoire, mais comment on se la raconte, tout est dans sa narration. Je sais pas si j'arrive à bien exprimé ma pensée...

Alexie M a dit…

Vrai, on s'aide un peu de la sorte. Par contre, le faire de faire de tout une narration rend plausible n'importe quelle lecture. Entre toutes celles qui sont possibles, il faut encore choisir.

Ayant à l'instar de madame octopède une panoplie d'expériences sociales adolescentes désagréables, je t'assure que certaines choses, peu importe la façon dont on se les raconte, restent un peu pathétiques.

On peut désamorcer le contexte : "j'étais entourée d'imbéciles, un peu trop sensible, un peu trop provocante, et je causais en partie mon propre malheur". On peut se gonfler d'orgueil: "maintenant je suis une belle fille, j'ai un Bac, j'aurai une maîtrise, peut-être même plus, je serai riche, propriétaire, grande voyageuse et ils m'envieront".

Mais quand le souvenir de la douleur frappe par surprise, il n'y a pas grand chose à faire.

À chaque rentrée des classes je suis à moitié excitation à moitié terreur, pendant les deux premières semaines, j'ai quinze ans. Pourtant plus personne ne me hait ou ne me trouve ridicule, je peux même dre que je suis connue et respectée.

Club des ex-laides ! Hail !

Alexie M a dit…

Crisse, c'est un flux mon affaire.

ambidextre a dit…

Ouais, j'ai pas été beaucoup maltraité ado...

Au moins, tu sais que peux tu utiliser ces souvenirs douloureux à ton profit, dans la création ou autrement. Quand je feel down j'entend Tom Yorke me chanter "be constructive with your blues"

Valérie a dit…

Ah! l'adolescence et son mal-être...

C'est vrai qu'il y a des petites phrases comme ça, lancées par des imbéciles, qui laissent un goût amer en bouche... et qui expliquent peut-être un peu pourquoi, 6 ans plus tard, on a zéro estime de soi et qu'on ne peut pas s'empêcher d'appeler notre chum 10 fois par soir juste pour être sûre qu'il nous aime autant qu'il y a 20 minutes (mais je m'égare...)

PS: Je sais pas comment tu fais, mais tu arrives vraiment à "transcender" le blog type journal intime. Tu fais de petites anecdotes, banales à la rigueur, de la littérature!

Madame Poulpe a dit…

Mais voilà, Mr. K.... de V.... n'avait rien d'un imbécile. Il était, certes, un machiste et ses sentiments étaient d'une valeur médiocres (tout comme sa littérature, qui était vraiment exécrable) mais on ne pouvait dire de lui qu'il manquait d'intelligence. Les multiples brimades essuyées de la bouche d'imbéciles me sont devenues assez lointaines et insensibles, mais c'est lorsque je me rappelle des perfidies de gens auxquels je ne pouvais refuser la reconnaissance de mon estime que je redeviens blessée.

Pour répondre à Al et Ambi, j'aurais plutôt tendance à être de l'avis d'Al. Il n'y a qu'un certain point jusqu'auquel on peut réinterpéter son passé en arrangeant le contexte d'une manière où d'une autre, mais ça ne le rachète pas, ni ne le change. Je suppose qu'il faut avoir vécu l'ostracisme pour comprendre les marques qu'il laisse.
Les marques s'accentuent en mon cas parce qu'élevée d'une manière qui visait à me responsabiliser à l'extrême en me faisait croire que tout ce qui m'arrivait était de mon ressort, je ne pouvais me défendre efficacement de ce sort social si injuste. Il me semblait tellement gratuit, tellement incompréhensible, l'inéluctable notion de ma responsabilité qui y était ajoutée finissait de me désespérer d'Autrui.

Mme Valérie, j'apprécie votre éloge, il me confit de bonheur.

Disons que contrairement à ce que certains oiseaux évoluant en des athmosphères raréfiée pourraient soutenir, je crois que la beauté de la littérature n'est pas tant dans la matière brute que l'on traite ou les formes convenues que l'on emploie, mais bien dans le produit donné par ces matières et formes lorsque traitée par une sensibilité personelle. Je ne sais pas si j'y parviens, mais je le tente.

ARISTEIA a dit…

Heu bonjour, je ne sais comment je me suis retrouvé chez vous, mais bon, agôn siginifie donc aussi vertu? Je ne connaissais pas ce mot avec ce sens, combat entre homonoi vi mais bon... quand à revisité le passé, on ne revisite qu'un passé retransformé, il peut y avoir du spleen, de la nostalgie ou du rejet, qu'importe, essayons d'y mettre un peu d'esthétique! merci d'avoir fait votre connaissance mais je vais retourner à mes recherches
tout mes voeux de plein soleil et d'étoiles.

J.P.

Madame Poulpe a dit…

C'est moi qui en fait fait le lien entre ce que je comprend de l'agôn, qui est "le combat" grec, évolué dans un concept de furor intimement lié avec la virtue romana, qui est cette mâle idée de la dignitié guerrière.
Toujours se méfier des blogs dans les recherches! ^_^