Journal du bord, thème; l’oisiveté.
En quatre mois de service, on ne m’avait encore connu aucune défection au poste. Mais j’ai, ce matin, succombé à l’attrait du lit et proféré un demi-mensonge à mes employeurs; mal au ventre, rentrerai pas.
Demi seulement, parce qu’effectivement, le stress est tel à l’emploi que je n’en chie plus de quelques jours.
Je me suis donc recouchée et ai roupillé bienheureusement, avec le piquant que rajoute à toute chose la violation d’une règle, jusqu’à 13h00.
J’ai passé le reste de la journée dans une oisiveté salutaire.
Grâce à cet état de calme et de contemplation, j’ai pu identifier quelques éléments problématiques quant à ma production. Et même si je sais que rien n’est plus barbant pour le lecteur que les lamentations de l’écrivain sur sa non-écriture *, je vous en livre quelques unes.
On se souviendra du temps jadis, vous, mes plus fidèles lecteurs, où je n’hésitais pas à épandre en une colorée marmelade de mots, les turpitudes les plus indécentes de ma vie, et mes entrailles les plus secrètes. Le procédé n’est pas sans torts, loin de là, mais on pouvait du moins affirmer, en ces temps-là, que mon écriture avait une poigne, une force, une vibration qu’elle n’a peut-être plus aujourd’hui.
C’est tout d’abord que j’ai conçu, au fil du temps, une certaine gêne à me dénuder ainsi. Ensuite, je me suis posée des questions sur la validité d’une telle littérature. Et enfin, (et surtout!) j’ai changé. Mon âme ne résonne plus aux mêmes émotions.
Quand j’étais adolescente, et antérieurement à l’avènement de tous les traitements psychotropes que l’on sait, je me souviens que j’étais chavirée constamment par de magnifiques furies, soit l’Indignation, la Haine, le Désespoir, la Rage. Mes questions étaient peut-être plus vastes; elles étaient, en tout cas, moins honnêtes dans leur ignorance. Elles n’admettaient pas intérieurement l’absence d’une réponse; ou du moins l’absence de cette réponse me soulevait d’une colère, d’une agitation terrible. J’étais bien convaincue de l’infamie et de l’injustice de ce qu’on me faisait dans ce temps là (que ça me concerne ou non).
Maintenant, je ne suis plus sûre de rien, et j’accepte davantage des comportements autres que le mien. Peut-être suis-je un peu découragée par mon ignorance, et me cantonnai-je à des terrains connus, loin des remous que provoquaient le choc de ma sensibilité et des actes d’autrui, ceux du Monde.
Je suis devenue blasée, ou mesquine. Ou peut-être que je prends une trêve de toute cette agitation, question de me fortifier.
L’émotion que je ressens le plus, maintenant, c’est la frustration. De multiples petites frustrations qui ne dépassent pas ma petite personne. Frustration au travail, frustration à la maison, frustration de ma propre veulerie. Et toutes ces choses sont si petites… J’hésite beaucoup à écrire là-dessus.
C’était facile, plus jeune, d’écrire, motivée par de telles Furies! J’étais plus brimée, aussi; cela excitait ma productivité.
Dans ce temps-là, j’écrivais constamment. C’était un exutoire toujours disponible, toujours possible. Cette discipline, comme le mouvement d’une pendule, m’entraînait à écrire, écrire encore. Ma discipline a perdu de son momentum.
Peut-être que, comme en art où on fait des séries d’études, où on répète inlassablement l’exécution d’un motif ou d’une forme jusqu’à l’atteinte de la perfection, devrais-je faire de la drill d’écriture? Des choses peut-être sans passion, mécaniques, mais salutaires pour ce momentum qui me manque?
Comme le canal auditif qui produit de plus en plus de cérumen lorsqu’on le bouchonne avec un cure-oreille, l’inspiration, les idées pourraient m’être plus faciles, moins volatiles surtout, si j’écrivais plus.
Faque genre, écrire des nouvelles?
(* Sauf Darnziak, parce que c’était tellement compliqué et trituré. On t’aime, Darnziak!)
2 commentaires:
Salut Poulpe,
Je pense que le problème autour de notre panne (c'est la même chose par chez nous) est que nous avons développé une trop grande lucidité par rapport à soit notre écriture, soit à la possibilité qu'elle advienne. Je passe moi-même ÉNORMÉMENT plus de temps à penser ce que je pourrais écrire, et tout est prévu, de l'état des personnages jusqu'au style; j'ai des kilomètres de récits dans la tête et seulement une ou deux ébauches d'amorcées, et qui risquent toujours de rester dans un état de plan ou de phrases décourageantes que je n'oserai pas renverser ou améliorer.
Ce qui te cause Stress et Anxiété entraîne plutôt chez moi Rage et Découragement. Les modèles qu'on se donne sont des monuments et ça brûle le moral. Je lis des textes qui m'écrasent comme une vulgaire blatte tant c'est riche, beau ou intelligent, ça m'inspire comme un high hallucinogène, puis quand je m'y mets, c'est effectivement écrit comme par un cancrelat. C'est une tâche impossible. Il faut s'y mettre. Tout simplement parce qu'on s'y est condamné sans s'en rendre compte. Pas d'autre possibilité que de s'asseoir et de sortir les mots. Tous les jours. Perdus.
Le commentaire ci-dessus est peut-être mon commentaire préféré sur ce bloye
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