<<...L’intertexte est plein d’inconnus. Tous les mystères sont là. Je sais qu’il y a des clefs, je sais que c’est un préalable de les posséder. Ceux qui en sont démunis doivent se démerder. Ils sont toujours un peu infirmes… Ce sont eux qui ont les yeux fous dans les situations sociales. Souvent, vaincus, ils abaissent le regard en signe de reddition, et fixent un plancher qui ne leur raconte rien.
Ces clés, je ne sais pas si ce sont des apprentissages. En tout cas, ils n’impliquent pas un langage parlé, ou écrit, ou du moins pas comme moyen direct de légation. Ce sont des inférences que les êtres font à partir des effets de leurs gestes sur les autres; avec le reflet-miroir de ces gestes, effets et inférences effectué par tous les pairs, se forment des us et coutumes, des acquis secrets, allant de soi, indéchiffrables parce que sans le chiffre de quiconque, indécodable même si c’est, à proprement parler, un code. Mais ce code ne peut justement être proprement parlé; il ne se trouve consigné nulle part, que dans l’assentiment sourd de tous les participants.
De plus, ces lois, qui régissent la plupart des comportements sociaux et même solitaires, en plus d’être intangibles sont vagues, molles, changeantes, amorphes.
Ce ne sont pas tant ces lois qui sont intéressantes, tant elles sont imprécises et généralement anodines (tant qu’elles ne se solidifient pas en traditions) que le mécanisme, lui ultra-précis, de l’acquisition de ces lois. Il est inouï de constater ce processus, qui se déroule en l’espace de quelques instants seulement, avec une acuité extraordinaire, qui fait douter que ce ne soit qu’un simple comportement d’imitation qui soit en jeu. Ils semblent que les protagonistes, dans la situation A ou émerge un comportement B, perçoivent sensiblement en quoi consiste ledit comportement B, sans qu’il ne soit besoin d’explicitation aucune. Ce qui est encore plus sensationnel, c’est que malgré la grande précision avec laquelle se fait ce calibrage de chaque individu lors de l’émergence d’un comportement de groupe, c’est que ce calibrage n’est pas consciemment vécu par l’individu, à moins que ce dernier éprouve justement des difficultés dans les interactions sociales.
C’est la plus ou moins grande précision de cette calibration, dicté par un instinct sans doute fait d’inférences longtemps justes et non contredites, qui fait le succès social. L’individu doué sait s’adapter à n’importe quel groupe, à moins d’un trop grand écart culturel ou contextuel. Même étant donné un tel écart, il saura ne pas se faire hostile, bref, ne pas commettre de gaffes.
C’est un des phénomènes sociaux de ma connaissance qui me semble le plus fascinant. La calibration éternelle des uns aux autres, passant dans une communication sans langage lui étant spécifiquement dédié.>>
-Professeur Poulpe dans Discours égarés aux gens indifférents
6 commentaires:
j'aime tes libellés.
ce texte serait digne d'un cour de communication: théories et modèles.
le poulpe écrit rarement, mais quand il le fait..
Hey,
On finit par s'ennuyer...
de toi, de tes réflexions.
Mouais. Je pense que la clé est : pour penser à ça avec le plus de précision, il faut avoir le plus de problèmes.
C'est vrai. Mais des fois je me dis que si j'arrêtais d'y penser, j'aurais au moin un problème de moins : à défaut d'être plus apete socialement, je n'aurais pas peur.
C'est ce qui est magique en fait là-dedans, c'est que les gens qui n'éprouvent jamais de problème sont:
1) les plus précis dans leurs calibrage;
2) les plus absolument inconscient du processus.
J'étais un peu en transe ou ivre quand j'ai écrit ça, je ne me rappelle plus....
ÇA fesait longtemps que je ne l'avais lue...Interessant. Je relirai surement.
Bon lundi madame poulpe.
(T'avais. pas l'avais..dsl)
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