11.2.08

Le Courage

Petit essai se voulant sans prétention. Version avec les fautes.

Parmi toutes les paraboles magnifiques que contient un de mes livres fétiches (vous l’aurez deviné, Voyage au Bout de la Nuit de Monsieur Céline) il en est une qui me semble particulièrement juste et appropriée à l’entretien d’aujourd’hui.

C’est celle de L’Amiral-Bragueton, où Bardamu harangue le capitaine Frémizon afin d’échapper à un imminent lynchage. Rappelons que nos protagonistes sont en route vers l’Afrique coloniale et que la fureur collective que suscite le héro est à son comble. Cette haine généralisée semble n’être excitée que par l’écart grandissant présent entre lui et le reste des passagers, écart difficilement explicable sauf par la nature particulière de Bardamu.

Pour vous mettre en train, je vous cite deux petits aphorismes du narrateur:

« Toute possibilité de lâcheté devient une magnifique espérance à qui s’y connaît. C’est mon avis. Il ne faut jamais se montrer difficile sur le moyen de se sauver de l’étripade, ni perdre son temps non plus à rechercher les raisons d’une persécution dont on est l’objet. Y échapper suffit au sage. »[1]

« Graduellement, pendant que durait cette épreuve d’humiliation, je sentais mon amour-propre déjà prêt de me quitter, s’estomper encore davantage et puis me lâcher, m’abandonner tout à fait, pour ainsi dire officiellement. On a beau dire, c’est un moment bien agréable. Depuis cet incident, je suis devenu pour toujours infiniment libre et léger, moralement s’entend. C’est peut-être de la peur qu’on a le plus souvent besoin pour se tirer d’affaire dans la vie. Je n’ai jamais voulu quant à moi d’autres armes depuis ce jour, ou d’autres vertus. »[2]

Amis-lecteurs, je crois peu au courage. Du moins, je crois médiocrement à la vertu de ce à quoi on fait usuellement référence en parlant de courage.

Le mot courage a comme racine cœur, siège de la noblesse et de la force morale (vx) [3]; cette ardeur dans une entreprise [4] et cette fermeté devant le danger [5] seraient inextricablement liées avec la morale.

C’est avec un certain dépit que nous voyons étiquetés de « courageux » des agissements iniques et dépourvus de mérite, comme nous le démontrerons plus bas.

La parabole célinienne illustre fort bien à quel point les dynamiques sociales déterminent ces concepts.

L’humain a tendance à agir en groupe. Il glorifie tout ce qui a trait à cette grégarité et, inversement, flétrit tout ce qui contrevient à ladite grégarité.

Seul l’intérêt du groupe compte. Ainsi, un acte qui supprime un désagrément subit par le groupe est considéré comme bénéfique.

Ces mécaniques ne sont jamais agies de façon consciente; on invoque toujours un prétexte faisant référence à la Morale Supérieure, car il faut supprimer le Doute quant au bien-fondé de l’action. Cette morale n’est cependant pas ce qui les guide en ce cas.

C’est ainsi que l’on en vient à qualifier des actes barbares de courageux ainsi que des actes justes de lâches. Ici, Frémizon était Courageux alors qu’il n’y avait pas de danger pour lui et que son ardeur dans l’entreprise était pratiquement inexistante. Bardamu était Lâche, malgré cette même ardeur dans l’entreprise et sa fermeté devant le danger.

Vous me suivez? Peu importe que vous vous conduisiez dignement/noblement/courageusement ou à l’inverse ignoblement/bassement/lâchement. Si vous allez à l’encontre du groupe vous serez un lâche.

Si je vous expose si longuement mon point, c’est pour vous parler de l’histoire de N. S. ainsi que du traitement qui lui fut réservé sur ce forum . Pour avoir contrevenu aux règles du groupe (spam d’amplitude moyenne et vantardise mal placée) on l’a tout bonnement traîné dans la boue, en révélant son nom, son adresse et ses antécédents judiciaires, dans un carnage de haine allant toujours grandissant (47pages et plus. J’en ai lu 20). Cette histoire a généré un trafic monstre sur le site alors qu’elle se répandait sur l’internet, et il y a même des utilisateurs qui se sont enregistrés pour participer à la mise à mort. Tout le monde s’instiguait son tribunal de conscience. Tous y sont allés de leur petit mot d’esprit assassin, même si certaines remarques trahissaient un manque d’intelligence sans doute supérieur à celui que l’on reprochait au supplicié.

Ce qui m’a frappée, c’est non seulement le degré d’indécence jusqu’auquel est allé le groupe ainsi que son acharnement à pourfendre N.S., mais aussi l’encensement que récolta le premier jeteur de pierre.

Courrait-il un danger? Aucun, il avait toute la communauté derrière lui. A-t-il eu à user de beaucoup d’ardeur dans son entreprise? Non plus.

Pourtant, on le traite comme s’il avait démontré du courage.

Et N.S.?C’est le pire des lâches. Bien entendu.

***



[1] (VabdlN, p. 120)

[2] (VabdlN, p. 121)

[3] Le Petit Robert, version électronique

[4] Idem

[5] Ibidem!

3 commentaires:

√їÐΘĈ a dit…

mechante histoire pareil...

Madame Poulpe a dit…

Ça arrive tout le temps en plus.

Madame Poulpe a dit…

insertion d'un commentaire particulièrement pertinent dont m'a fait part Monsieur Darnziak:

"À propos de ta dernière entrée sur ton blogue, c'est frappant comme elle décrit EXACTEMENT le mécanisme du bouc émissaire, la victime sacrificielle innocente mise à mort par le groupe entier afin de rétablir « l'harmonie » dans le groupe, comme décrit en détail par René Girard dans « Je vois satan tomber comme l'éclair », livre que je viens justement de lire, quelle coïncidence. Ça t'intéresserait sûrement. (Il parle même du « premier jeteur de pierre », mais il dit que c'est difficile pour lui de faire le premier pas, parce qu'il n'a pas de modèle. Une fois qu'il l'a lancé, par contre, le reste de la foule peut se déchaîner. Voilà pourquoi Jésus avait dit « que celui qui n'a jamais péché lui lance la première pierre », dans l'histoire de la femme adultère... il voulait attirer l'attention sur la première pierre et empêcher qu'on la lance, pour éviter le lynchage collectif)."

J'connais vraiment du monde brillant.