18.2.09

La nouvelle refusée

Voici, pour vous mes lecteurs éprouvés et fidèles, dont l'amour pur me comble et m'émeut jusqu'aux larmes, la nouvelle refusée par le Moebius. Personnellement, je la trouve bien mieux écrite que l'autre; j'y ai investi plus de travail aussi. La thématique peut avoir déplu à l'éditeur; après tout, qui veut entendre parler de deux filles qui ne s'engagent pas dans des activités sexuelles? Je la mets ici, lisez-la si ça vous dit. Et si vous la volez je vous poursuivrai jusqu'à la mort. Pas que les probabilités de ce vol soient très élevées. Mais... bon.

<< Les Asticots


Un cri retentit dans la cuisine, puis des sanglots. Je lève la tête de mes journaux, je tends le cou vers la source des clameurs. Il n’y a nul doute quant à leur interprète; ça vient de Sonia, ma colocataire. Je ne m’alarme pas trop, parce que la scène est accoutumée. Ces soudaines détresses sont généralement aiguillonnées par de bien piètres malheurs; un ongle cassé, du magasinage peu concluant, un appel un peu froid de Bé (le présent élu de son cœur). Je ne me dérange donc pas immédiatement.
Le cri rejaillit, carrément horrifié cette fois, avec des « Ah noooon! » gémissants insérés entre les pleurs. Qu’est-ce que ça peut être? De la moisissure dans un plat oublié dans le frigo?... Comme si un peu de flore fongique pouvait être menaçant. Je décide d’aller lui porter secours, sans grand enthousiasme.
Ce qui m’attend dans la cuisine est autrement déconcertant. À côté de la poubelle renversée, irradiant du point d’impact tel le souffle d’une explosion nucléaire, une myriade de petits asticots gigotant quittent leur puant navire en toute hâte. Certains retardataires, tombés sur leur face antérieure, se tordent d’un bord puis de l’autre, avec des contractions du corps peu ragoûtantes. Ils sont pâles, rosés à l’examen et se déplacent fort rapidement.
Je soupire. C’est tellement dégueulasse.
Sonia a une excellente hygiène en ce qui concerne sa personne, ou disons qu’elle est excellente selon ses conceptions particulières de l’hygiène. (J’ai déjà vu de ses petites culottes traîner, et ça ne passait pas le test Pampers de la propreté). Pour ce qui est de l’entretien ménager par contre, ça laisse franchement à désirer. On dirait que son culte de la propreté, qui ne se borne d’ailleurs qu’à sa propre surface, ne s’étend pas à son environnement.
Si j’ai le malheur de m’absenter quelques temps, je me retrouve toujours avec un surcroît de ménage au retour, ainsi que des dégâts tout simplement indécents. L’autre fois, c’était une petite flaque d’urine laissée par le chien de Bé, que notre jeune première n’avait pas daigné éponger deux jours durant. Encore avant, c’était des casseroles pleines d’eau croupie qui dégageaient une odeur pestilentielle.
Il faut savoir que Sonia est une très belle fille qui sait très bien comment se mettre en valeur. Tous les efforts qu’elle investit dans le maintien de son apparence lui rapportent gros. Le profit se présente sous la forme de l’inconditionnel dévouement que met à sa disposition une foultitude d’êtres couillus. Elle n’a jamais à faire d’efforts ou à prendre d’initiatives, puisqu’on s’empresse de l’assister dès qu’elle est dans l’embarras. Un joli sourire savamment laqué est le seul paiement qu’elle doive octroyer à ses chevaliers servants, qui lui en sont redevables à jamais. Un baiser, lors de la rare occasion méritoire, est l’ultime monnaie de sa gratitude.
C’est ainsi qu’elle tend à laisser les choses se faire autour d’elle, comme par exemple, la gestion des vidanges. Si lesdites choses ne se font pas, la belle indolente ne se donnera pas la peine de s’en occuper. Même si, quand je suis là, je ne me gêne pas pour l’obliger sous peine d’expulsion à faire son lot de corvées, dès que je n’exerce plus ma surveillance il nous arrive des trucs pas possibles, en l’occurrence, une infestation de vers.
Pour en revenir à nos asticots, donc, la pauvre demoiselle en détresse en trépignait de dégoût, geignant à travers ses larmes. Elle effectuait un drôle de mouvement, comme si elle sautait à la corde, mais avec les avant-bras collés contre le corps. Cela pressait et relâchait ses seins alternativement. Squish, squish! «C’est tellement puéril », que je pensais.
Je commençais à partager sa panique. Toutefois, son attitude infantile m’irritait tellement que ça m’exhortait à garder mon sang-froid. La possibilité de l’humilier ensuite de sa détresse était aussi un excellent incitatif à ce calme supérieur.
Je remarque que quelques unes de ces petites engeances se faufilent dans les rainures du mur. Alertée, je soulève la corbeille à linge sale.
Quel marasme. Une colonie des luisantes choses se démènent au grand air, battant la retraite. « Le camp est pris! Cherchons des recoins plus inexpugnables ». Saloperies. J’en vois deux, trois ou dix qui s’immiscent dare-dare entre les lattes du panier à linge, vers une sûreté temporaire. Un rapide coup d’œil m’assure que le contenu ne m’appartient pas. Je perçois en même temps une forte odeur de pourri, quelque chose de grave. En fait c’est des dessous à Sonia. Selon l’odeur, il y a quelque chose d’autre d’enfoui sous les culottes… Je me demande même, sans oser vérifier, s’il n’y a pas un lien entre le type de souillure des culottes, ce qui traîne dans le panier à linge et l’infestation d’asticots. Nous savons que l’odeur de certaines sécrétions corporelles peut attirer certains petits animaux. Nous savons aussi que toutes matière organique en état relatif de putréfaction est une nourriture potentielle pour ces larves… En tout cas, faut s’en occuper, des autres foyers de prolifération aussi.
- Sonia, va chercher l’eau de Javel.
- Ah, je l’ai jetée.
-…Pardon?
- Ben là, elle était pu bonne!
- Comment ça, elle était plus bonne! Je venais d’acheter la bouteille!
- Ben t’en a pris une passée date, ça puait le câlice!
Je ne dis rien. Je suis médusée. Je la regarde en guise de réponse; je n’en reviens juste pas.
La salope m’a jetée mon eau de javel!
Ce n’était même pas délibéré, en plus; c’était un acte de pure ignorance imbécile.
Mais y’a pleins de choses comme ça que Sonia ignore imbécilement. Elle n’a jamais eu à le savoir, que l’eau de javel, ça pue. Je l’ai déjà vue passer un oignon avec la pelure sous l’eau pour le laver. Elle m’a déjà demandé comment fonctionne ma bouilloire en métal.
Je la remplis d’eau chaude, ladite bouilloire. Je viens d’avoir une idée…
- Ok, ben si t’as jeté notre eau de javel qui n’était pas du tout périmée soit dit en passant, aspire-moi ces cochonneries-là en punition.
- No way! J’touche pas à ça!
-HEY!!!
Elle baisse la tête et s’exécute.
Pendant qu’elle s’affaire à brancher l’aspirateur, j’enlève du plancher tout ce qui peut servir de cachette à ces immondices. Lorsque l’eau bout, je la répands dans les rainures et sur les bestioles, que ça tue net, sans bavure. J’en verse une pleine bouilloire dans le panier avant de la remettre sur le feu. Je remarque, que cette cuisson instantanée raidit les asticots directement touchés, les dessèche (c’est de la viande après tout) et les élonge un peu. Ça me fait penser à une place forte assiégée qui se défend en déversant de l’huile bouillante sur ses assaillants… Alors que je m’adonne à mes fantaisies médiévales, Sonia aspire les cadavres des envahisseurs touchés, avec une répugnance non feinte. Elle pleure toujours.
Je me rends alors compte que ça doit être véritablement dur pour elle et j’ai un peu de pitié, à travers tout le ressentiment que je nourris habituellement à son égard. Ressentiment, parce que c’est une belle fille dont la vie est infiniment facilitée de ce fait. Pitié mêlée d’empathie, parce que moi aussi, avoir été seule avec ça, j’aurais braillé comme une bonne.
-Ok, pauvre toi, va te laver la face, ton mascara a coulé pis tu fais dur… Je vais m’occuper du reste.
Quinze minutes plus tard, après l’éradication complète des petites abominations et la mise au chemin de la poubelle et du sac d’aspirateur sinistrés, pendant que je lave le plancher, Sonia s’approche doucement de moi et me susurre un
- Merci…
en déposant un léger baiser sur ma joue…
Ben câline. Je dois l’avouer même si ça blesse mon orgueil; ce simple baiser m’a semblé un salaire pleinement suffisant pour ma peine. Comme quoi je ne vaux guère mieux que toute sa suite de couillus. J’ai même plus envie de l’écœurer avec cette histoire-là… Sauf que :
- Sonia, descends à la buanderie faire ton lavage à soir en échange, ok?
- Promis! >>

16.2.09

Paupières de papier ciré

Piment, muscade et cacao noyés. Je wipe, les yeux sont vernis, les cristallins non alignés, j'vois rien. C'est rare que toutes mes facultés sont dans le même axe, ça décale d'habitude, il manque toujours un élément, ça donne une petite bête furtive et inquiète. Tous les yeux que je ne peux pas allumer me peinent, c'est des fusils à clous, retenue dans ma course. De l'ectoplasme blanc dans un champs de monolithes. Consistance inadéquate, recommencer. Paradigme anachronique. J'aurai jamais assez de tout ce qu'il faut et du savoir faire en plus. Je ne suis pas Brett Easton Ellis rencontre Girls Gone Wild. Je ne suis pas non plus L. G. S, c'est une entitée impossible, construite par tous les regards d'une trop grande quantité de gens qui ne s'en soucient proportionellement pas assez. Ça me donne des fins de semaines compliquées. J'ai pas la foi. Meringue flatte, pas de tonus dans la protéine. Chante pas dans le ton avec une voix cassée. Agacée par les belles héroïnes sur mesures. Le regard flotte et ne se pose nulle part, c'est un goéland qui plane dans un aquilon propice. Tombée dans le mastic, mes articulations s'y brisent.
Je, Être, Avoir; balayez-les de moi; suffit.

11.2.09

Ubi sum, estie

- Cornebleu, tu mets jamais ton blog à jour!
- Je sais, je m’excuse. Laissez-moi vous expliquer.
- Bon, encore une entrée introspective plate à mort?
- Ben oui, qu’est-ce tu veux, je manque d’inspiration, de motivation… Je suis en plein désarroi…
- Ça promet!..

Je fais face à un problème de désagrégement de mon identité. Ce qui était un joli petit amas bien compact, souvent définis et souvent examiné, s’est fondu en une bouillasse brune et incertaine. On a beau dire, le froid Soleil Noir de la Mélancolie a des avantages, question cristallisation (des intentions de suicide ou de connaissance de soi.)
Maintenant que j’ai un sursis dans mon roman Kafkaïen, que je fais de gros-gros effort pour bien-bien écouter, être zentille, pratiquer l’empathie universelle et l’allongement considérable de tout mon vin interne, je ne suis plus sûre de rien. Je doute de tout et ma personne est, en retour, douteuse. Intéressant d’ailleurs, comme l’aspect d’identité dans la question de l’être brouille plus les cartes que son aspect d’indivision. À force de tant écouter les multiples témoignages concernant la personne poulpe, et d’y prêter une attention peut-être trop importante, je ne me retrouve plus comme nœud central.
J’aurais pourtant dû me douter que toutes ces personnes se désintéressent autant de mon mouah qu’ils sont intéressés par la leur.

Prenons ma mère : selon elle je suis une incorrigible et paranoïaque égoïste, qui devrait donc prendre le temps de s’informer de tous les menus désirs de l’Autrui. Elle attend l’avènement de Poulpe Jésus.
Mon copain, lui, au contraire, croit déjà au Messie : je suis donc gentille, j’ai donc l’don d’l’écoute.
Moi, dans tout ça, je suis confuse, mais je trouve un peu gros, quand même, qu’on s’arroge la définition de ma personne. Se doutent-ils à quel point j’en ressors perplexe?

Comment se fait-il que l’ouverture à l’Autre entraîne une si grande perte du Moi? Et comment se fait-il que les Moi fermés soient si attirants, reluisants? Pourquoi est-ce qu’il n’y pas d’état intermédiaire satisfaisant entre le Don complet de Soi à l’Autre, (donc un effacement de cet encombrant Moi), et le regroupement immuable d’un Moi en forteresse qui refuse sa reddition?

Ce que je désirerais c’est, peut-être puérilement, qu’on me considère dans ma potentialité plutôt que dans mes aspects finis en apparence : qu’on partage avec moi la croyance que je ne suis pas un être achevé, que je ne suis qu’un espèce de plasma informe qui tente tant bien que mal de se construire en quelque chose. Ça me blesse de me faire contraindre dans des moules.

Parce que c’est dur de croire en mon « travail », ma « création », mon « avenir » si j’admets toutes ces visions autres d’un moi terminé, bien médiocre, sans chance de rédemption. Même que je n’y arrive pas du tout, quand je confronte ce que je veux à ce qu’on me décrit être.

Peut-être, aussi, ne suis-je qu’une incorrigible paresseuse dénuée de volonté et que je me donne des excuses. Ou que je choisis mal les versions de moi qu’on me propose. Parce que tant qu’à vivre dans l’enfer de Ji-Pi, autant s’accommoder…